Julie Boileau

PERMANENTE PHOTOGRAPHIE

Réunir, décloisonner, célébrer

Le monde change. La photographie, miroir autonome de nos représentations, s’affole.
Jusque là, nous pensions que la photographie était un compte-rendu, un témoin. Tout était clair, encadré. Mais les formes et les usages se multiplient et sont sujets à leur tour. La photographie veut être partout. Les frontières n’existent plus. Les definitions sont perméables, le décloisonnement est absolu. Notre fonctionnement devient planétaire et les créateurs d’images sont les témoins de l’affirrmation de cet immense peuple humain.
Cela a l’air plus simple... Mais non. Pour qu’un système aussi grand dure, nous avons besoin d’un équilibre.

Nos images ont rattrapé le présent. Elles sont devenues la perception d’un commun bordélique, car en transition.
Regardons mieux. Elles nous renvoient aussi l’image du monde qui sera. En quelque sorte, elles nous échappent, nous dépassent mais nous guident aussi, créant littéralement du futur. Elle façonnent la Culture, provoquent des réactions, de l’émotion, des pensées...et des idées ! Blaise Cendrars en fait déja état* en 1952 : «c’est même extraordinaire de constater et de se l’avouer, qu’une image peut jouer un rôle actif dans la vie des hommes, voire troubler et tromper la psychologie de toute une nation ou d’une époque au point que son potentiel poétique fait l’Histoire».

Pour l’instant, ces nouvelles pratiques créent la panique dans l’organisation même de nos institutions culturelleset dans nos vies de photographes. Des milliards d’images qui nous rendent une photographie encore plus insaissisable.
Laissons faire.
Mais une fois cette métamorphose acceptée, il nous faut prendre les devants ! Tout est possible, dans cette nouvelle ère, à condition d’être sûr de soi. Quelle excitation ! Nous sommes maintenant tous responsables de chacun,«du proche et du prochain, mais aussi àl’égard du lointain»**, alors nous devrons être solides. Et pour ajuster tout cela, l’optimiste, le partageur et le bienveillant seront nos architectes.

Et puis, les outils existent déjà.
Sur l’établi devant nous, optons pour la Perma-Culture***. Elle défend le cas particulier et le collectif, interroge lepassé pour prévoir le futur, accepte l’instantané des émotions mais préfère le temps long de la réflexion. Elle définit la Géographie par l’Histoire. On ne fait pas acte, on apprend. La permaculture propose ainsi l’éternité, imitant le système circulaire naturel de notre environnement.
Inspirons-nous. Instaurons la permaphotographie. Celle qui dure, celle qui n’a pas de définition, àpart celle du lien. Elle s’adapte à chaque variable et devient responsable. Le contexte devient primordial. Elle réfléchit et célèbre sa dépendance à l’Autre.
Pour instaurer une force de proposition politique, mettre en commun des recherches et instaurer une veille technologique, pour permaphotographier, réunissons-nous d'abord. Professionnels et créateurs d’images, architectes, optimistes et bienveillants. Un rassemblement pour que la photographie soit ce qu’elle est : nous.
La photographie ne meurt pas - elle est plus vivante que jamais. Faudrait-il encore ne pas la tuer.

La permaphotographie est une proposition d’équilibre.

 

* Blaise Cendrars, Brésil, des hommes sont venus, Gallimard, Folio, 1952, 2010
** Hans Jonas, Une éthique pour la Nature, tiré de l’avant-propos de Sylvie Courtine-Denamy, page 19, Arthaud Poche, 2017
*** Contraction de permanent et agriculture. «Le but est de développer des modes de vie et de fonctionnement qui ne nuisent pas à l’environnement et quisoient viables économiquement, qui subviennent à leurs propres besoins, qui n’abusent ni des humains ni du vivant, qui ne polluent pas la terre».
Définition de Bill Mollison et David Holmgren, Permaculture 1, 1978.
Par extension, elle devient aujourd’hui une philosophie, où le c de agriculture deviendrait le C de Culture. Elle devient «une éthique, une philosophie, une science et une méthode d’organisation, de systèmes (et d’écosystèmes), dont la préoccupation fondamentale est l’éfficacité, la régénérativité et la résilience» (www.perma-culture-sans-frontieres.org).

Photographie 1 - Nuit Debout, Paris, 2016
Photographie 2 - Terre planète vie de Sergey Milchenko, 2010, Les Lapidiales, Port-d'Envaux, 2016

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