Julie Boileau

La forêt regardée

       The looked forest

La forêt regardée est un très long projet réalisé au sein de l’Amazonie (Brésil & Pérou) et du Plateau des Guyanes.
Il se divise en plusieurs chapitres : Le corpus photographique principal La forêt regardée regroupe 100 photographies (un extrait ici), argentiques moyen format et numériques, représentant des paysages forestiers tropicaux, L'arbre qui nous suit, Nightwalk et Monochromes forêt.
C’est un travail paysager en forêt tropicale et une recherche personnelle sur un face-à-face tout végétal et sa conséquence sur notre physique, nos valeurs et nos façons de penser. Son acceptation ultime étant imaginée comme mesure de notre tolérance à l’Altérité Les photographies sont accompagnées de dessins au crayon et d'un recueil de poésie intitulé Dehors.

Le projet a bénéficié d'un Tandem Artiste-chercheur au sein du CNRS/LABEX CEIBA, a été exposé plusieurs fois partiellement dont aux Rencontres Photographiques de Guyane en 2019.


Cher Wapa,

J’ai gardé les images

difficile de savoir
pourquoi un arbre

j’ai des questions

Tu vois et écoutes
tu excites les colibris

J’avoue je t’aime


Je suis trop romantique
alors je vis deux fois

une fois qui voit tes lunes
et l’autre qui les envole

Une fois qui marche ici
l’autre qui s’arrête pour imager

Une fois qui a peur de se perdre
et celle qui voudrait l’écrire

Une fois qui aime la forêt
et celle qui pense l’avoir déjà perdue



Les hommes ne manquent à personne



Certains d’entre nous doivent être atteints
d’une nostalgie chimique
celle d’un autre corps

Toute bataille sera perdue
jusqu’aux retrouvailles
de l’oiseau tropical

Ces gens veulent l’impossible
ou bien n’ont plus envie
et sages contre cannibales
l’équilibre est encore

Ne cherchons plus un destin
car celui-ci a mille excuses
Allons à l’essentiel
pour que futurs n’accusent

En forêt, la première fois on ne voit rien. On remarque les plus gros éléments, le plus gros arbre ; les couleurs semblent avoir laisser la place à un impersonnel vert marron dégradé. C’est un fouillis, les sens ne s’en sortent pas, débordés par ce paquet informe de formes. Le chemin reste la seule priorité, le regard reste accroché au basket de l’accompagnateur : ne pas se perdre ici.

La deuxième fois, l’attention reste coincée sur l’apparition potentielle d’un animal féroce, la nuit qui tombe trop vite ou l’eau de son corps qui semble vouloir fuir entièrement vers des paysages plus aérés. La «peur» ne nous lâche pas (elle ne part jamais vraiment) mais elle n’est plus autophage et devient plutôt un troisième œil qui sonnerait l’alerte en cas de danger.

Les fois suivantes, on commence petit à petit à trier, puis à regarder vraiment. Et enfin à comprendre. Les petites mousses apparaissent, les point d’eaux se font remarqués, la végétation change avec l’altitude ou l’humidité, les fleurs ne sont qu’en haut, quelques singes s’énervent. Le brouhaha visuel s’accorde. Quelques bruits sont associés à leurs propriétaires.
On s’assoit. On se regarde d’en haut pour bien enregistrer ce moment, là où on est. On est dedans. On réfléchit. On se souvient plus précisément du livre de science-fiction que l’on vient de finir ; à l’exclamation d’un des personnages face à la quatrième dimension : «Prodigieux est l’esprit capable de maîtriser un tel monde !»
Jamais au cours des innombrables visites suivantes, cette sensation d’être au sein d’un environnement complet, surprenant, intrusif, d’une vitalité mortelle, ne part. La forêt tropicale pourrait être, en effet, la démonstration terrestre d’une autre dimension.

Using Format